Production de l’information vs. commentaire dans la nouvelle sphère médiatique
Peut-on monétiser l’information sur les réseaux sociaux sans simplement commenter le travail des autres?
Le commentaire, c’est cheap. Cheap comme dans « facile ». Mais surtout, cheap comme dans « pas cher ». Pas étonnant que les influenceurs qui parlent des nouvelles et les journalistes qui partent à leur compte ont tendance à tomber dans le commentariat plutôt qu’à rapporter des faits.
Là avant de me faire lyncher par du monde qui font de la bien bonne job, je veux préciser que quand je dis que c’est « facile », c’est que ça prend moins de temps et de ressources. Pas besoin de talonner le premier ministre ou de te rendre sur la scène d’un accident : quelqu’un d’autre sort une nouvelle et toi, par après, tu viens expliquer en quoi c’est pertinent pour ton auditoire.
Ce n’est pas « facile » dans le sens où n’importe-qui peut se filmer la face pis avoir 50 000 vues. Le storytelling, c’est un art.
D’où l’importance de deux départs qui ont marqué le monde médiatique ces dernières semaines. À quelques jours d’intervalle, Alexane Drolet et Nicolas Pham ont annoncé qu’ils quittaient Radio-Canada pour se lancer à leur compte. Alexane était la journaliste numérique de Radio-Canada à Québec, alors que Nicolas dirigeait Rad.
Tous deux figurent parmi les journalistes les plus reconnaissables et les plus suivis au Québec. Nicolas Pham, en particulier, a une grosse part de mérite pour la redéfinition des codes journalistiques à travers son travail chez Rad.
Tous deux ont dû faire face à la question : ce qu’ils font, c’est tu encore du journalisme?
Oui, moi aussi j’ai posé la question.
Et tous deux ont répondu de la même façon : on s’en câlisse.
Le premier niveau : la production de l’information
Nicolas et Alexane ont tout à fait raison, dans un sens. Leurs auditeurs veulent avoir des informations sur un sujet donné, et eux, ils les fournissent. Que ça fit la définition de journalisme de qui que ce soit, c’est un débat d’initiés qui intéresse peu de gens en-dehors de l’industrie.
Moi, je suis à l’intérieur de l’industrie, alors ça m’intéresse. Mais je vais amener le débat ailleurs.
Le gros problème avec les nouvelles habitudes de consommation de l’information, c’est que ça devient très difficile de rentabiliser le premier niveau du travail journalistique : la production de l’information. Le simple fait d’aller apprendre ce qui s’est passé et de le raconter à notre auditoire. Aujourd’hui, le premier ministre a dit ÇA. Aujourd’hui, TELLE personne est morte. Aujourd’hui, la mairesse a annoncé ce nouveau programme LÀ.
Ça prend du monde pour faire ce travail-là. Beaucoup de monde.
J’ai déjà dit dans le passé que la job de produire l’information a été, en partie, retirée des mains des journalistes. Quand François Legault annonce quelque chose directement sur Twitter, les internautes n’ont pas besoin d’attendre qu’un journaliste en fasse un texte avant de commencer à en discuter.
Et les influenceurs n’ont pas besoin d’attendre avant de lancer leurs commentaires et leurs analyses.
Sauf que… ça nous laisse quand même avec un problème. La suite logique de ça, c’est qu’on passe immédiatement des acteurs directement impliqués dans l’affaire – avec leurs biais, leurs motivations, leurs intentions cachées ou pas si cachées – aux commentateurs qui vont vouloir présenter l’affaire tout en tentant de convaincre l’auditoire de quelque chose – avec leurs biais, leurs motivations, leurs intentions cachées ou pas si cachées.
C’est sûr que tous les influenceurs ne s’équivalent pas. Même si on n’est pas d’accord avec Nicolas ou Alexane, ou même Farnell Morisset ou Frank Domenic (pour aller du côté anglophone), on peut difficilement les taxer d’être de mauvaise foi dans leur présentation des faits… à moins de l’être soi-même.
Mais n’empêche, ils opèrent dans la même nébuleuse informationnelle que des gens comme Ezra Levant. Ou des gens qui, sans être crackpot et dommageables comme Ezra, ont néanmoins une intention idéologique beaucoup plus prononcée. Des spin doctors nouveau genre.
Le middle-man, celui qui rapporte simplement les faits – que ses opinions transparaissent ou pas – ce gars-là a ben de la misère à percer ces temps-ci. Et donc, il a ben de la misère à se faire payer.
Produire l’information dans la nouvelle sphère médiatique
Le point que je veux marteler, c’est que le plus important dans toute cette affaire-là, ce n’est pas tant de savoir si quelque chose se qualifie comme étant du « journalisme ». C’est de savoir s’il y a du monde là-dedans qui vont pouvoir rentabiliser la production de l’information.
Alors comment on fait ça?
J’ai pas la recette, mais à tout le moins ça commence par une compréhension beaucoup plus large du concept de production de l’info. Un journaliste de QMI qui écrit sur X qu’un assaillant vient d’être arrêté, il a produit l’info. Même si le reportage (texte ou télé) viendra plus tard.
C’est sûr qu’on a Rad. Oui, Rad fait beaucoup d’analyses et d’explications. Mais ils sont aussi sur le terrain. Sauf que… on peut tu faire ça sans se faire subventionner à fond par le gouvernement fédéral?
J’aime bien suivre Isaac Peltz. Évidemment, ses opinions sont bien mises de l’avant, mais il ne fait pas que de l’opinion ou de l’analyse. Sur TikTok et Instagram, il nous tient à jour de l’avancement des ses enquêtes, diffusant par exemple des extraits de documents.
C’est de la production d’information. Et c’est ce qu’il manque dans la diète informationnelle tiktokienne.
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J’essaie de trouver une conclusion adéquate pour ce texte. J’y arrive pas.
Alors I guess que la morale de cette histoire c’est… soyez comme Isaac Peltz?
Peut-être…