Ce qu’on doit retenir du Digital News Report 2025
Un (autre) appel à une révision radicale des processus et des contenus des salles de nouvelles
S’il fallait d’autres indicateurs nous rappelant que l’industrie des médias vit une transformation fondamentale, le Digital News Report (DNR) 2025 de l’Institut Reuters nous en donne amplement. J’en profite pour lancer une série de textes et de vidéos plongeant dans chacune des leçons que nous offre le rapport, qui seront diffusés au cours des prochains jours. Commençons ici avec un tour d’horizon plutôt général, mais qui permet de voir à quel point il est impératif que l’ensemble des médias d’information – du plus petit journal local aux plus grandes chaînes télé – revoient de fond en comble la façon dont ils produisent et diffusent les nouvelles.
Je ne verse pas ici dans l’hyperbole : le danger est bien réel. Et, à mon avis, des pertes d’emploi additionnelles sont presque inévitables simplement parce que le niveau de compétition et l’importance des défis font en sorte que seuls les plus forts s’en tireront. Il existe bel et bien des lueurs d’espoir et même des pistes de solution bien concrètes pour réussir, j’y arriverai dans un autre texte dans quelques jours. Mais d’ici-là, commençons par dresser un portrait bien large et bien lourd des obstacles qui se dressent devant nous.
**Une petite note avant de commencer. Pour ceux qui ne le savent pas, le Digital News Report est une analyse annuelle de la situation des médias et du journalisme à travers le monde, produite par l’Institut Reuters avec l’aide d’une série de partenaires dans les 48 pays étudiés. C’est de loin la source d’informations la plus complète et la plus détaillée dans son genre.
**Une autre petite note. Je me concentrerai, là où c’est possible, sur les chiffres du Canada et spécifiquement le Canada francophone (donc principalement le Québec). Mais ce n’est pas toujours possible parce que les données canadiennes diffusées par le partenaire local de l’Institut Reuters, soit le Centre d’études sur les médias, ne recoupent pas toujours exactement celles diffusées dans le document principal.
Les réseaux sociaux dépassent toutes les autres sources d’information
Pour la première fois depuis que le DNR compile cette statistique, les réseaux sociaux sont maintenant la première source pour s’informer sur les nouvelles aux États-Unis. Au moment du coup de sonde, 54% des Américains s’étaient informés sur les réseaux sociaux au moins une fois dans la semaine précédente, contre 50% pour la télévision et 48% pour les sites web de nouvelles (y compris les sites web de médias télévisés ou imprimés comme CNN ou le New York Times). Les podcasts, l’imprimé et la radio suivent à 15% ou moins chacun.
Les réseaux sociaux occupent la première place pour tous les groupes d’âge jusqu’à 45 ans. C’est encore plus marqué pour les jeunes, ce qui signifie que ça le phénomène est appelé à croître.
On parle ici de gens qui sont restés sur le réseau social en question, pas ceux qui l’ont utilisé comme porte d’entrée vers un site web d’infos.
Les chatbots utilisant l’intelligence artificielle – principalement ChatGPT – font aussi leur première apparition dans cette liste : environ 7% des gens les avaient utilisés.
La situation est un peu différente au Canada – surtout du côté francophone – mais j’en parlerai ailleurs. Pour l’instant, je me concentre sur la situation aux États-Unis et à travers le monde parce que, éventuellement, nous aussi on va suivre la parade.
Ensemble, ces deux nouvelles habitudes que sont la consommation d’infos directement sur les réseaux sociaux et la sollicitation de chatbots ont une conséquence assez claire : faire chier tous ceux qui ont l’habitude de rentabiliser leurs opérations avec de la publicité affichée sur une télé, dans un journal ou sur un site web.
Il y a des options de rechange pour monétiser le contenu qu’on produit, et j’en parlerai dans quelques instants. Mais ce n’est pas tout le monde qui sera en mesure de faire le changement. Attendez-vous à ce que des postes plus « traditionnels » soient remplacés par des postes axés sur l’information produite pour les réseaux sociaux. Ou même que ces postes soient simplement coupés et remplacés par rien.
Probablement aussi de nouvelles fermetures de médias.
Une préférence plus marquée pour la vidéo
En parallèle, une proportion croissante de consommateurs de nouvelles affiche une préférence pour l’information en format vidéo. À travers le monde, 55% des gens préfèrent lire contre 31% qui préfèrent regarder et 15% qui préfèrent écouter, mais la part de lecteurs diminue avec chaque année qui passe. Chez les 18-24 ans, la proportion a déjà baissé sous la barre de 50%.
Il est difficile de comparer ces chiffres avec ceux du Canada parce que les données canadiennes affichent les 18% de gens qui ont répondu «Je ne sais pas», alors que les données mondiales ne les affichent pas. Tenant compte de ce bémol, je note tout de même qu’ici 48% des gens préfèrent la lecture contre 23% la vidéo et 11% les balados.
Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, surtout quand on considère la quantité importante de gens pour qui la lecture c’est pas donné. Par contre, les vidéos c’est beaucoup plus cher à produire.
Donc pendant qu’on doit réévaluer nos sources de revenus, on doit aussi s’appuyer davantage sur des formats qui coûtent cher.
Une crise de la confiance qui se complexifie
Il semblerait que la confiance à l’égard des médias a atteint son niveau plancher. Dans la plupart des marchés, la proportion de gens qui font confiance aux médias et aux journalistes stagne autour de 40% et c’est le cas aussi au Canada.
Au Québec, c’est plutôt 45% de confiance. C’est un chiffre sur lequel on va pouvoir s’appuyer pour l’avenir, mais j’y reviendrai une autre fois.
Par contre, les personnes qui utilisent les plateformes qu’on va vouloir investir pour informer le monde, elles ont tendance à se tourner davantage aux influenceurs et aux personnalités publiques qu’aux journalistes.
Regardez spécifiquement les chiffres pour TikTok : 49% des utilisateurs regardent davantage les influenceurs contre seulement 36% qui regardent davantage les journalistes. Si vous vous dites « who cares », détrompez-vous. TikTok c’est la plateforme la plus utile pour les nouvelles parce que c’est davantage utilisé par les jeunes spécifiquement pour s’informer, et aussi parce que c’est le réseau social qui accapare le plus de minutes par jour de ses utilisateurs.
En bref : c’est LE réseau où on devrait le mieux performer, mais pourtant on manque le bateau.
L’IA pour réduire les coûts? Pas si vite…
On pourrait être tentés de se tourner vers l’intelligence artificielle pour réduire les coûts ou augmenter la productivité. Si on peut produire des centaines de textes simples par jour avec l’IA plutôt que payer des rédacteurs ou des journalistes qui se rédigent principalement à partir de communiqués et de tweets, why not? Soit on coupe carrément des postes, ou bien on redistribue les effectifs pour affecter les journalistes à des tâches plus rentables.
Mais encore… si tu fais ça, est-ce que ça va affecter ta marque?
La majorité des Canadiens (52%) sont très sceptiques concernant les nouvelles produites par l’IA, même lorsqu’un être humain assure l’édition et le contrôle de qualité. C’est semblable aux chiffres qu’on voit aux États-Unis (53%) et en Europe (46%).
Quand on se bat déjà contre une crise de la confiance, c’est un « pensez-y bien ».
Les abonnés plus rares ici qu’ailleurs
On pourrait aussi se tourner vers les abonnements. Après tout, c’était notre modèle d’affaires principal avant internet!
Peut-être, mais le Québec est un des endroits dans le monde où les gens sont le moins enclins à dépenser pour s’informer. Seulement 13% des Canadiens francophones paient pour un abonnement actuellement. C’est en légère augmentation, mais c’est loin des 16% au Canada anglais, 20% aux États-Unis et 18% à travers le monde.
Sans oublier qu’une part non négligeable des abonnements vont à des publications étrangères. C’est un phénomène moins marqué ici qu’au Canada anglais, mais quand même, si 21% de ton bassin potentiel d’abonnés choisit d’envoyer ses sous au New York Times, ça fait mal…
Il y a, bien entendu, des incitatifs utiles pour augmenter les abonnements. Mais 78% des gens d’ici affirment que rien du tout ne pourrait les faire sortir leur porte-monnaie pour les nouvelles.
Diminution du rôle des médias locaux
Et finalement du côté des médias locaux – parce que c’est mon dada – le DNR note que leur rôle s’est restreint. Ils sont encore considérés comme des sources d’information privilégiées pour la politique locale, les crimes et autres histoires du genre, mais pas pour la culture locale, les services (transport, collectes, etc.) ou le commerce local.
C’est une autre tuile qui s’abat sur le secteur qui a été le premier à pâtir de la transformation des nouvelles depuis l’arrivée d’internet.
Heureusement le DNR offre plusieurs pistes de solutions, que j’aborderai une autre fois.
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Donc… le portrait n’est pas rose. Il y a du travail à faire partout pour tenter de s’adapter, et on va perdre des combattants en cours de campagne. Mais je ne suis pas de ceux qui craignent la fin du chien de garde de la démocratie. Il y a des pistes de solutions.
On s’en parle bientôt.